Ne te retourne pas.
« Quoi qu'on fasse, la finalité ne change pas. La faucheuse attend quiconque a choisi de naître. »
1975. Londres. Je suis né. Là. Comme ça. J'ai ouvert les pages du livre de ma vie, soulevant la couverture avec timidité.
Et j'ai tracé à l'encre noire les lignes de mon existence. N'effaçant jamais. Ne retournant jamais en arrière pour lire d'anciens chapitres dont j'avais oublié le fond de l'histoire.
Ce 5 mai 1975, à Londres, s'achevait le prologue de 9 mois de grossesse, pour enchaîner sur l'histoire. La mienne. Qui, soit dit en passant, n'avait rien des plus grands romans. Pas de suspens, pas de romance, pas même de braquage ou de tueur charmant. Juste un type, pas très droit dans ses bottes, avec un peu de fric et un caractère de merde.
La plume n'avait rien de celle d'un écrivain de la renaissance, cherchant à taton les mots justes. Qu'au final je n'ai jamais trouvé. Un récit chaotique et un style nul à chier. Ma vie a tout de ce bouquin qu'on repose juste après avoir balayé le résumé des yeux. Ce bouquin que t'as même pas envie de lire tellement il te parait déjà plat. Mais le problème des résumés, c'est que tout le bouquin tient en 10 pauvres lignes. Alors forcément parfois ya des surprises. Un vice caché. 1976. J'ai soufflé ma première bougie. Mais en soi, on s'en fout. J'avais qu'un pauvre poil sur le cailloux et je faisais encore caca dans ma couche.
1995. Je vais t'épargner mon enfance. Parce qu'en temps que gosse de riche, ya pas grand chose à te raconter. Purée, bavouilles et merde dans le pantalon, ça se résume à peu près à ça. Premiers amours aussi, et premières déceptions. La gueule de bourge ça fait pas tout. Les Bad Boys ça a plus de charme il paraît. Le reste se résume à une main droite performante. J'avais une tronche de puceau. Mais au fond, tu vois, j'ai appris que j'étais pas fait pour ça. Eva en a fait les frais dans les 20 autres années de ma vie.
Mais c'est à 20 ans que j'ai décidé de reprendre l'affaire du père. Pas que j'en avais vraiment envie, mais il faut dire que c'était la voie royale pour le premier de la famille. Fric et autorité, j'en avais envie et besoin. L'armement c'était secondaire, je m'en balançais un peu. S'il fallait que je vende de la pâté pour chien, je l'aurai fait. Même si ça fait moins d'effet aux jeunes jouvencelles michtos qui te courent après parce que t'as un costard cravate satiné.
2001. J'ai survécu au grand bug de l'année 2000 et à la potentielle apocalypse annoncée par un quelconque écervelé. C'est aussi vers cette période que j'ai conclu mes études pour passer doucement dans la firme familiale. Et malheureusement pour elle, j'y ai rencontré Eva. C'était cette jolie demoiselle qui, derrière son logiciel de calcul, se chargeait de suivre les finances de l'entreprise. Une comptable quoi pour ceux qui auraient pas suivi. Elle avait ce charme rare des filles distinguées. Et cette pudeur qui m'a tout de suite séduit. Elle devait avoir plus ou moins mon âge, voir peut-être une ou deux années de plus. Mais en temps que fils du patron, j'avais le charisme hiérarchique indéniable auquel elle n'a pas pu résister.
2003. Et après deux années de flirt et plus si affinité je l'ai mariée lors d'une grande cérémonie, un peu trop prestigieuse mais il fallait que ça en jette. Parce que ça avait toujours été le cas dans la famille. Tout devait avoir de l'allure. Le visuel d'abord. Les sentiments après. On s'en contre-balançait de ce que pouvait bien penser le gars au centre du truc - c'est à dire moi - tant que l'oncle Jordan en regrettait déjà son 3 ème mariage.
2004. Au début on a vécu cet idylle amoureux par lequel passent presque tous les couples. Mais l'adage bien connu s'est aussi avéré pour nous. L'amour dure 3 ans. Ni plus ni moins. Et on a commencé à se lasser l'un de l'autre. Au final je ne sais même pas si j'avais un jour eu envie d'elle à mes côtés autrement que pour impressionner l'entourage. Elle était la belle jeune femme que tous auraient voulu marier, et elle avait été mienne le temps de quelques années. Et je leur en avais balancé plein la gueule, à coups de photos et de voyages. Mais l'aimais-je vraiment ? Avec le recul, je crois bien que non, je ne l'ai jamais aimée. J'ai apprécié l'image que nous renvoyions. Mais pas ce que nous étions. Juste des objets d'une société du surenchérissement. Mieux que tout le monde. Plus beaux que le reste. Mais notre relation sonnait incroyablement creuse. Et nous n'étions que deux corps sans rêves et sans espoirs. Sans futur à se tracer. Sans passé sur lequel se reposer. Nous étions deux êtres enviés par d'autres. Mais nous n'avions même pas envie de celui avec qui on partageait pourtant le quotidien.
2013. Et pourtant on a tenu. On faisait chambre à part, et malgré la pression des autres, nous ne cédions pas à ce désir charnel que d'enfanter. A quoi bon donner naissance à quelqu'un que nous ne pourrions apprécier ? Le divorce était devenu une fatalité. Et le mythe de notre existence pailletée, un miroir brisé. Nous avons défait un mythe par la simple signature d'un acte législatif. Et Eva repris sa route et moi, la mienne. Sans plus aucun attrait pour les femmes. Qu'au final, je crois, n'avoir jamais eu.
2017. C'est là que j'ai découvert Nerve. Et avec lui le moyen de donner un sens à ma vie. Pas qu'elle n'en avait pas non. Mais elle était vide d'aventure. Et de rebondissements. Et par l'argent j'ai pu m'offrir le plaisir sadique que d'observer d'autres âmes en peine se débattre dans le tourbillon infernal de la vie, appâtées par un gain futile. Par ce que j'ai toujours eu à portée de main, sans jamais avoir à courir après. Et j'ai découvert, derrière ces caméras, le plaisir malsain de se sentir marionnettiste. Et incroyablement puissant. Un peu comme dieu. Possesseur d'âmes humaines entre les doigts. Et comme la faucheuse. Quelques billets me suffiraient à couper le fil d'Arianne.
To be continued